Rien de grave
Ce recueil de nouvelles ne se lit pas. Il se déguste, un peu comme un vieux cognac millésimé. Le livre a été édité par les Editions Clovis, ce qui est logique. Un éditeur « du monde » n’aurait pas pu comprendre toute la subtilité, toute la richesse de l’œuvre. On ne donne pas de la Fine Napoléon aux siffleurs de gros rouge qui tâche. Au total, neuf histoires : Erwan, un cadre compétant dont la carrière a été brisée le jour où il écrasa par accident une racaille ; Brian, un enfant suicidaire incompris de ses parents ; Hugues, le jeune loup de la politique qui s’aperçoit de la vacuité de celle-ci ; Monette, l’histoire d’un ancien brave de 1914-1918 dont on se demande au fond pourquoi il s’est battu ; Armel, le jeune garçon droit perdu dans un collège public et qui renvoie sa très gauchisante prof de français à la nullité de son existence ; Marie, où une très « libérale » gynécologue va se heurter à la volonté de fer d’une toute jeune femme tradi qui refuse de se faire avorter alors qu’elle est certaine d’accoucher d’un enfant mort-né ; Paul, où dans une paroisse morte un petit garçon trouve la foi ; Brigitte, où une dame de la bonne société versaillaise s’aperçoit de la superficialité de ses « amies » et Odile, où un hédoniste s’aperçoit au contact d’une anticléricale que, finalement, la Foi sauve…
Ce qui filtre de ces histoires qui ont un goût d’expériences vécues , c’est que nous sommes les seuls, les vrais exclus de cette société. C’est un livre qui rend fasciste tout aussi bien qu’un autre livre, La Peau de l’Ours, que nous présenterons la semaine prochaine. Ce sont les deux portes qui nous ouvrent toute cette aile maudite mais si précieuse de la grande maison nationaliste. Le premier, c’est la beauté des torches illuminant le grand stade de Nuremberg, les flammes éclairant les casques et les runes d’argent brillant sur le noir des uniformes, c’est la splendeur aryenne de la jeune Bundesmädel à nattes blondes qui en uniforme brun cueille des pommes dans la campagne allemande, c’est la proue élégante du Bismarck fendant les eaux de l’Atlantique, c’est la beauté et la pureté hissé à un tel rang de dogme que même la débauche se sent obligée d’avoir de la classe, comme Drieu la Rochelle, à mille lieues de la puanteur crasseuse d’un Sartre. Rien de Grave nous fait passer par l’autre porte. Celle de l’indignation. Celle de ces tribuns fascistes au physique de taureau, les Jacques Doriot, Benito Mussolini, Léon Degrelle, Julius Streicher… C’est le SA en chemise brune qui va aller casser la figure au proxénète juif et y laisser sa peau (Horst Wessel), c’est le fasciste en chemise noire qui monte une opération de représailles contre les anarchistes qui ont tué des « bourgeois », c’est le phalangiste espagnol en chemise bleue qui, devant les tombes profanées d’un couvent, se promet de mener une épuration radicale de la racaille républicaine… Fascisme spirituel et fascisme charnel… En lisant Rien de Grave, on se dit qu’effectivement, il serait temps de se demander quelle est notre place dans la société. C’est là où le débat sur le fascisme prend toute son importance. Prenons par exemple la nouvelle « Erwan ». Comment ne pas être indigné par cet homme broyé judiciairement par pure démagogie politique, pour un accident alors qu’il rentrait chez lui pour amener d’urgence son fils à l’hôpital et viré par son gros capitaliste de patron par pure lâcheté. Toi, mon goret affairiste, tu feras moins le malin lors de l’avènement de l’ordre nouveau quand on confisquera et tes biens, et ta boîte… pense-t-on en enfilant sa chemise brune. Et cette prof gauchiste, qui massacre la copie d’un jeune collégien de droite parce qu’il avait écrit toute l’admiration qu’il portait à sa maman, femme de militaire et mère de famille nombreuse. Cette enseignante qui a raté sa vie, qui ne veut pas l’admettre, et qui en vient à haïr ces femmes heureuses. Profil parfait de la dégénérée féministe aigrie. Inutiles à la société. On les fera dégringoler de leur piédestal pense-t-on en nouant sa cravate noire. Et cette larve de ministre qui laisse des allogènes siffler la Marseillaise alors qu’il remet la Légion d’Honneur à des anciens combattants et à un bamboula tapeur de ballon… Qu’ils se permettent seulement ça demain, et en moins d’une minute, ils auront une jolie chirurgie faciale à coups de matraque de CRS, suivi d’un renvoi dans leur douar d’origine par écopli au fond d’un cargo, pense-t-on en enfilant son pantalon noir. Et ces sales perruches de la bourgeoisie versaillaise qui, parlant du gentil gendre d’une de leur partenaire de bridge qui s’avère catholique de tradition : « Voilà un garçon qui doit sentir bon la poussière et les toiles d’araignée ! », elles mériteraient d’aller faire un peu de travail manuel avec un joli triangle noir cousu sur la poitrine… pense-t-on en laçant ses chaussures noires. Et ces militaires bien pensant mais froussards qui n’osent pas remettre à sa place le curé gauchiste adepte de l’évangile selon Saint Marx… Un bon passage par le commissariat politique histoire de remettre les idées en place… Mais on pense, on pense, et voilà : on arrive à l’heure du constat. On a beaucoup pensé, beaucoup parlé, mais rien n’a changé, si ce n’est qu’à la lecture de ce livre, on se dit que la société ne veut pas de nous. Bien. Maintenant qu’on est habillé, on prend l’huile de ricin, la barre à mine, et on s’en va régler les comptes. La rue appartient à ceux qui y descendent… Cessons de nous plaindre de notre sort et arrachons nous même ces droits qu’on nous refuse. « Dans la nuit parte nos commandos, heia ho ho, déjà paraît l’ordre nouveau, heia ho ho ho ho ho au fusil, au couteau, nous imposerons l’ordre nouveau… »
Gabrielle CLUZEL -Rien de grave- Editions Clovis - 16 €
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